L’Europe s’équipe d’une nouvelle force de surveillance des ressources terrestres

Connaissez-vous Copernicus ? Il n’est pas ici question de l’astronome prussien qui a démocratisé l’idée de l’héliocentrisme mais plutôt d’un programme de l’agence spatiale européenne : l’ESA. Cette dernière a développé Copernicus dans un but de surveillance de notre Terre que ce soit au niveau des forêts, des océans ou même de la pollution de l’air. Pour réaliser cette surveillance, le programme s’appuie sur la constellation des satellites Sentinel. Le 25 avril 2018, c’est justement Sentinel-3B qui a été mis en orbite par la petite fusée russe Rokot.

Copernicus

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de revenir un peu sur l’histoire et les objectifs de Copernicus. Le 19 mai 1998, les institutions qui s’occupaient du spatial européen décide de créer GMES pour « Global Monitoring for Environmental Security » qui se transformera l’année suivante en « Global Monitoring for Environment and Security ». La différence entre les deux est subtile mais elle est belle est bien présente. Là où l’acronyme de 1998 montrait un objectif de protection de l’environnement, celui de 1999 montre que la surveillance de celui-ci a également des implications sur la sécurité.

En 2004, la Commission Européenne (CE) signe un accord avec l’ESA pour développer le segment spatial qui sera essentiel à GMES. En 2007, GMES est reconnu comme une initiative phare de l’Union Européenne par la Communication sur la politique spatiale européenne. En 2009, la CE propose une base légale et un financement pour GMES sous le nom du règlement sur « le programme européen d’observation de la terre (GMES) et sa mise en œuvre initiale (2011-2013) ». Ce dernier entre officiellement en vigueur l’année suivante.

Flotte Sentinel (ESA)
Différentes familles des satellites Sentinel. Crédits : ESA

En 2013, le programme est renommé Copernicus et un premier budget est alloué après l’approbation par le Parlement européen du MFF (cadre financier pluriannuel) pour la période 2014-2020. Ce budget de 3 786 millions d’euros répartis en fonction du PIB des états participants, permettra l’exploitation des trois premiers satellites nécessaires à Copernicus : Sentinel-1A, 2A et 3A ; les précurseurs de la constellation éponyme.

Le but du programme Copernicus est d’assurer l’autonomie de l’Europe dans la surveillance de la Terre à toutes échelles. Cette surveillance servira d’appui aux directives votées par l’UE (Union Européenne) mais aussi pour ses engagements internationaux. En effet, avant de décider de modifier les lois sur l’exploitation des forêts, il est préférable de savoir à quoi ressemble déjà les forêts européennes.

Aujourd’hui, Copernicus traite six domaines :

  • Surveillance des terres
  • Surveillance du milieu marin
  • Surveillance de l’atmosphère
  • Gestion des urgences
  • Sécurité
  • Adaptation au changement climatique

Ce nombre de domaine augmentera au fur et à mesure que la constellation Sentinel se développera.

Sentinel

Depuis le début de cet article, nous parlons des satellites Sentinel, mais qu’est-ce donc que ce regroupement ? Sentinel a pour but, comme son nom l’indique parfaitement, de servir de sentinelle pour le programme Copernicus. Ce sont ces satellites qui vont observer la Terre depuis l’espace et fournir la majorité des informations pour Copernicus. C’est en 2008 qu’un accord entre la CE et l’ESA décide que cette dernière devra développer l’infrastructure spatiale nécessaire à GMES. La constellation Sentinel est composé actuellement de sept satellites, et d’ici 2021 ce nombre devrait s’élever à onze. Cependant, Sentinel ce n’est pas que des satellites entiers. On retrouve également dans la liste trois instruments qui seront simplement implantés sur d’autres objets spatiaux.

Certains des satellites Sentinel sont identiques mais on distingue quand même différentes familles :

Sentinel 1

Les satellites Sentinel 1 sont au nombre de 3 : Le 1A a été lancé comme premier du segment orbital de Copernicus en juin 2014, puis 1B l’a rejoint en avril 2016 et 1C devrait être lancé en 2021. Cette première famille de Sentinel est équipée de radar qui permettent d’imager la Terre avec une résolution de 10m par pixel peu importe la météo ou l’heure locale. Ces satellites pèsent 2,3 tonnes au décollage et sont placés sur une orbite héliosynchrone de 693km d’altitude et 93° d’inclinaison par une fusée Soyuz lancée depuis Kourou. Ils ont une durée de vie minimale de 7 ans et demi et mesurent 3,4m de haut et 1,3m de côté.

Sentinel 1 (ESA)
Un satellite Sentinel 1. Crédits : ESA

Sentinel 2

Si vous vous baladiez dans l’espace sur une orbite héliosynchrone de 786km d’altitude inclinée à 98,5°, vous pourriez croiser deux satellites de cette famille : 2A lancé en juin 2015 et 2B lancé en mars 2017. Ces deux jumeaux seront rejoints en 2021 par leur nouveau frère 2C. Bien plus léger que leurs cousins de la première famille (1,2 tonnes), les Sentinel 2 décollent de Kourou à bord d’une fusée Vega. Cette partie de la constellation image les océans terrestres dans treize bandes spectrales différentes et avec une résolution de 10 à 60m. Avec deux satellites, il est théoriquement possible d’imager toute la Terre en cinq jours mais à cause des nuages, Sentinel 2 ne peut assurer une image propre de tout le globe que en un mois.

Sentinel 2 (ESA)
Un satellite Sentinel 2. Crédits : ESA

Sentinel 3

Encore une famille de triplets. Sentinel 3A et 3B sont déjà en orbite respectivement lancés en février 2016 et en avril 2018. Ils attendent également leur frère qui devrait partir pour l’espace en 2021. Ces satellites placés sur une orbite héliosynchrone de 814km d’altitude et inclinée à 98,6° ont pour but de récolter un maximum d’informations sur nos beaux océans bleutés. Parmi ces données, on retrouve la hauteur des vagues, la vitesse des vents, la température et la couleur des océans. Avec ces données on peut par exemple observer le changement climatique mais aussi repérer où est concentrée la vie végétale avec la photosynthèse qui résultera d’une modification de la couleur perçue. Ces satellites Sentinel 3 pèsent chacun 1,2 tonnes et mesurent 3,7m de long pour 2,2m de côté. C’est la fusée russe Rokot qui s’occupe du transport de ces derniers jusqu’à l’orbite. Les Sentinel 3 ont une durée de vie minimal de 7 ans et demi mais celle-ci devrait pouvoir être étendue jusqu’à 12 ans.

Sentinel 3 (ESA)
Un satellite Sentinel 3. Crédits : ESA

Sentinel 4

La famille Sentinel 4 n’est constitué que de deux instruments 4A et 4B qui seront installés respectivement sur les satellites Météosat de 3ème génération : MTG-SG-A 1 et 2. Ces instruments, prochainement lancés en 2021 et 2029, auront pour mission l’étude de la composition de l’atmosphère terrestre. Ils seront à terme situés sur une orbite géostationnaire à 36 000km du plancher des vaches.

Meteosat 3rd Generation (ESA)
Deux satellites Météosat de 3ème génération qui porteront Sentinel 4A et 4B. Crédits : ESA

Sentinel 5

Sentinel 5 représente la première famille mixte. On y trouve un satellite (5P) et un instrument (5A). Comme la famille précédente, les Sentinel 5P et 5A analyseront l’atmosphère. Normalement, ce groupe n’aurait dû être constitué que d’instruments mais cet envoi ne pouvait se faire avant 2021 car aucun satellite MetOp-SG ne devait être envoyé avant et ce sont ceux-ci qui doivent porter Sentinel 5. L’ESA a donc décidé la fabrication d’un petit satellite pour pouvoir exploiter cette famille à partir de 2017. C’est ainsi qu’en octobre 2017, le satellite Sentinel 5P (pour Precursor) décolle à bord d’une fusée Rokot. Ce dernier ne pèse que 820 kg et a été placé sur une orbite héliosynchrone de 824km d’altitude et 98,7° d’inclinaison. Sa durée de vie est estimée à 7 ans.

Sentinel 5P (ESA)
Le satellite Sentinel 5 Precursor. Crédits : ESA

Sentinel 6

Cette famille ne comporte qu’un seul satellite au double nom : Sentinel 6A ou Jason CS. Celui-ci devra poursuivre la mission de Jason, constellation américano-européenne de satellites lancés en 2001, 2008 et 2016. Leur but (et donc celui de Sentinel 6A) sera de mesurer la topographie des océans. Sentinel 6 devrait être lancé en 2021 et servira de transition entre le système Jason qui appartenait aussi à la NASA et un système radar 100% européen mais dont la technologie ne sera testée qu’en 2019 avec le satellite SWOT (Surface Water Ocean Topography).

Sentinel 6 / Jason CS (ESA)
Le satellite Sentinel 6A / Jason CS. Crédits : ESA

Le 25 avril 2018, c’est donc le satellite Sentinel-3B qui a décollé à bord de la fusée russe Rokot. Cette dernière mesure 29m de haut pour 2,5m de diamètre. Elle peut placer 1,2 tonnes en orbite héliosynchrone et 1,8 tonnes en orbite basse. Sur 31 lancements de ce lanceur, seuls 3 ont échoués. Petite anecdote en passant, comme beaucoup des petites fusées russes et des premières américaines, Rokot était à la base fait pour devenir un missile balistique intercontinental : un ICBM. A cause de son passé, Rokot est toujours aujourd’hui lancé depuis un tube de lancement, sorte de silo à missiles mais hors du sol. Le lancement s’est déroulé sans accroc et le signal a été établi. Le lendemain du vol, Sentinel-3B a même été catalogué sur une orbite de 803km par 815km inclinée à 98,62°. Le dernier étage du lanceur a lui été capté sur une orbite de 400km par 755km. Ce nouveau satellite européen se trouve donc sur la même orbite que son prédécesseur Sentinel-3A, qu’il suit d’une dizaine de minutes.

Pour finir, voici quelques photos du satellite et du lancement :

Aure